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A la croisée de la défense des biens communs et des droits des peuples, la biopiraterie est un sujet phare de la Fondation Danielle Mitterrand.

« Lors de la première colonisation, les peuples autochtones se sont fait voler leurs terres. Au moyen des droits de propriété intellectuelle et des brevets, on se trouve à piller l’esprit et le corps des peuples autochtones ; la vie elle-même se fait coloniser » Vandana Shiva, grande militante indienne engagée dans la lutte contre la biopiraterie.

La biopiraterie : l’accaparement de la biodiversité et des savoirs traditionnels

La biopiraterie fait référence à la privatisation du vivant et des savoirs traditionnels sur la biodiversité, notamment par le biais de brevets. Les biopirates sont les entreprises, en particulier pharmaceutiques, cosmétiques ou agroalimentaires, ainsi que les instituts de recherche qui s’approprient des plantes ou semences ainsi que les connaissances et savoir-faire sur ces ressources à travers la propriété intellectuelle. Les communautés locales, rurales et autochtones, qui vivent particulièrement proches de leur environnement, ont en effet développé des connaissances très fines sur la biodiversité qui les entoure et qui sont fortement recherchées par le monde de la recherche ou économique pour les valoriser. On parle de biopiraterie quand ces acteurs s’approprient ces savoirs, sans le consentement des communautés et sans partage des bénéfices réalisés grâce leur utilisation.

biopiraterie fleur médicament

Prenons un exemple : une entreprise pharmaceutique étasunienne envoie en Amazonie péruvienne un de ses représentants pour observer une communauté autochtone qui utilise traditionnellement une plante pour ses propriétés médicinales. Ce représentant rapporte des échantillons qu’il confie au laboratoire de son entreprise. Les chercheurs vont alors extraire le « principe actif », c’est-à-dire la molécule, de l’échantillon de plante qui possède les vertus thérapeutiques observées au sein de la communauté autochtone. A partir du produit élaboré par l’extraction de ce principe actif, l’entreprise dépose un brevet sur ce qu’elle considère être son « invention ». En clair, l’entreprise devient propriétaire du médicament créé à partir d’une plante utilisée par une population autochtone depuis des décennies pour les mêmes propriétés. L’entreprise sera alors considérée comme l’inventeur des bénéfices de cette plante. Elle aura en réalité profité d’un savoir déjà existant, et sans en informer les détenteurs et encore moins partager les bénéfices réalisés.

A travers les droits de propriété intellectuelle utilisés par les biopirates, le vivant se retrouve ainsi privatisé et des savoirs traditionnels copiés.

Marchandisation et privatisation du vivant

Dans les pays dits « utilisateurs » de ressources biologiques (Etats-Unis, Europe et Japon, principalement), la demande en produits cosmétique et pharmaceutique « naturels » exploseLes entreprises tentent de répondre à cette demande en puisant dans les grandes réserves mondiales de biodiversité. Par ailleurs, elles mettent en place des stratégies pour se donner une image d’entreprise « verte » pour attirer des clients supplémentaires. 40% de l’économie mondiale repose sur des ressources biologiques. L’exploitation croissante des ressources naturelles par les marchés de l’alimentation, de la santé et du bien-être fait donc peser une menace sans précédent sur la diversité  biologique.

Cela pose la question des biens communs du vivant et leur appropriation et privatisation. Il semble essentiel d’entamer une réflexion sur le système mondial capitaliste qui considère la nature comme un ensemble de ressources marchandisables et privatisables. Faire connaitre les visions des peuples sur les biens communs, partager leurs expériences et écouter leurs messages est, à cet égard, une voie intéressante  pour repenser notre modèle de société dominant.

Des pratiques biopirates à l’arrière-gout de colonialisme

Les communautés locales, rurales et autochtones vivent particulièrement proches de leur environnement et ont développé des connaissances très fines sur les plantes qui les entourent. Telle plante a des propriétés médicinales intéressantes, telle autre des vertus cosmétiques, telle semence une propriété insecticide… Ces communautés sont donc des informatrices privilégiées pour les scientifiques. L’expérience ancestrale de ces peuples sur leur environnement a souvent été mobilisée par la recherche scientifique pour le développement de produits comme les médicaments ou les cosmétiques.

Historiquement, les rapports entre ces populations et les chercheurs ont néanmoins été marqués par la violence et l’exploitation abusive des savoirs traditionnels. Dans de nombreux cas, les populations ne sont pas informées des débouchés des projets de recherche. Enfin, rares sont les utilisateurs des ressources et des savoirs qui partagent les avantages pourtant générés grâce aux connaissances des populations autochtones ou locales.

Le vol des savoirs des peuples vient interroger la place accordée aux savoirs traditionnels souvent perçus comme de moindre importance par rapport au savoir porté par un chercheur par exemple. On a tendance à exclure ces savoirs des sciences dites « dures » et ces savoirs sont souvent considérés comme librement appropriables et librement exploitables. Les entreprises/chercheurs légitiment souvent le dépôt de brevet par l’investissement du temps passé et de l’argent dépensé. Rares sont ceux qui évaluent la valeur du travail souvent collectif et durant des siècles de la communauté locale, rurale ou du peuple autochtone autour d’un savoir traditionnel précis.

La biopiraterie invite à réfléchir à la reconnaissance et valorisation des savoirs des peuples et à repenser les rapports entre ces populations et le monde de l’entreprise et de la recherche pour qu’ils soient moins marqués par la violence, l’exploitation abusive et l’injustice.

Un cadre en construction pour protéger la biodiversité et les peuples des biopirates

Pour protéger les peuples et la biodiversité des biopirates, les Etats ont élaboré deux textes fondamentaux dans le cadre de sommets onusiens : la Convention sur la Diversité Biologique (1992) et le Protocole de Nagoya (2010). Ils posent le principe dit Accès et Partage des Avantages (APA) : les acteurs souhaitant accéder aux ressources génétiques d’un Etat doivent demander l’autorisation et, en cas de savoirs traditionnels associés, le consentement des communautés concernées doit être obtenu et un partage des bénéfices mis en place. Ces textes marquent une avancée certaine mais restent toutefois soumis à la bonne volonté des Etats d’appliquer dans leurs droits nationaux ces principes fondamentaux. C’est ce qu’a fait la France en votant le 20 juillet 2016 la Loi sur la biodiversité qui, bien que présentant certaines limites, comprend tout un volet sur la prévention de la biopiraterie par l’élaboration d’un cadre clair.

D’autres États sont beaucoup plus avancés comme l’Inde ou le Pérou qui se sont lancés dans des actions de recensement des savoirs traditionnels liés à leurs biodiversités. L’objectif avec la Bibliothèque digitale indienne ou la Commission nationale contre la biopiraterie péruvienne est de disposer d’un outil efficace pour prouver l’antériorité des savoirs traditionnels en cas de demandes de brevets posés sur des plantes dont les propriétés brevetées seraient déjà connues par des peuples. Il s’agit d’un travail titanesque qui a déjà permis d’enregistrer un très grand nombre de connaissances traditionnelles et d’invalider des demandes de brevets.

Quelques cas de biopiraterie:

Vidéo d’AJ+ « Guyane : pillage des savoirs amérindiens »

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