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Caimanes : la justice chilienne sera-t-elle une fois de plus désavouée face au pouvoir économique ?

03.11.2015


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Le processus de dialogue a pris la forme d’une série de réunions thématiques entre Minera Los Pelambres, la communauté et les avocats des deux parties. Ces réunions sont ouvertes à tous et sont tenues à Caimanes même, sous la vigilance de l’ONG Chili Transparent, désignée par Antofagasta Minerals (dont MLP est une filiale) pour suivre le déroulement du processus.  L’objectif de ces réunions est que les parties se mettent d’accord sur  la forme  d’accomplissement des sentences, c’est à dire comment rendre l’eau et garantir la sécurité aux habitants de Caimanes. 

Après 14 ans de lutte, entamer un dialoguer avec MLP est difficile à concevoir pour les habitants. MLP reconnait elle-même que son intervention sur le territoire a engendré des problèmes.  A l’ampleur des impacts environnementaux irréversibles, à la disparition de l’eau et des activités agricoles,  s’ajoutent les divisions entre voisins et familles directement causées par les pratiques discriminatoires et clientélistes de MLP (3) . Malgré leur incrédulité quant au discours de mea culpa et de changement de MLP, une majorité des habitants accepte de relever le défi du dialogue pour tenter de trouver une solution au conflit.

Comme par ironie du sort, un évènement dramatique frappe le village lors de la première réunion thématique : un tremblement de terre  de  8.4 Richter (dont l’épicentre se situe à peine à une cinquantaine de km de Caimanes) secoue le village à l’issue de la première réunion portant sur… la sécurité du réservoir en cas de séismes. Si heureusement le séisme n’a pas eu pour effet de provoquer l’effondrement du mur, en revanche il a démontré l’absence totale de préparation du village pour affronter un évènement qui pourrait signifier  la disparition de la partie basse du village  grande partie du village (4).  La compagnie propose dès le lendemain à un groupe d’habitants d’aller constater par eux-mêmes les impacts du séisme sur le réservoir…  Fait qui pourrait paraitre normal s’il n’en était que jamais auparavant, les habitants n’avaient eu la possibilité d’aller visiter le réservoir. L’objectif de cette visite est expliqué par MLP par une volonté de construire des relations de collaboration avec les habitants et de mettre à profit la propre expertise des habitants vers une co-gestion des risques et du projet sous la devise « ensemble nous pouvons mieux travailler ». Ainsi, il est question de monitorat participatif par lequel les habitants pourraient eux-mêmes aller constater  le bon fonctionnement du réservoir et pourraient participer à la gestion du patrimoine archéologique (5) .

Derrière ce changement de ton dans les relations entre les habitants et l’entreprise, il est nécessaire d’apporter des éléments pour mieux comprendre les intérêts réciproques et les enjeux : alors que Caimanes a récemment gagné l’ensemble des procès, un accord aujourd’hui avec MLP signifierait troquer des victoires juridiques contre un résultat en terme d’application des sentences peut-être plus rapide et plus efficace (6)  mais qui, de ce fait, signifierait renoncer à ce que l’entreprise soit déclarée responsable. MLP ne serait plus responsable d’avoir privé d’eau, pollué une vallée entière et mis en danger la vie des habitants de Caimanes mais deviendrait en quelque sorte bienfaitrice : ses apports apparaissant comme volontaires et non plus de l’ordre d’une obligation.  Par ailleurs, cela risquerait de sceller l’avenir de Caimanes à l’emprise de MLP. En effet, un document qui n’avait tout d’abord pas été rendu public, concernant les prérequis de ces négociations fait état d’un projet d’agrandissement du réservoir accompagné d’un accord de relations de collaboration entre l’entreprise et les habitants. Soulevée lors des premières réunions, la question de l’agrandissement du réservoir a provoqué des réactions de refus des habitants auxquelles MLP a répondu que « si la position des habitants était de s’opposer à la liberté d’agrandir le réservoir, alors aucune discussion n’était plus possible ».   

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En définitive, aujourd’hui pour de nombreux habitants, la réelle intention de MLP est claire : loin d’œuvrer à réparer les erreurs du passé et apporter des solutions au problème d’eau et de sécurité, MLP veut s’assurer de pouvoir continuer à décharger des déchets miniers le plus longtemps possible en  minimisant le poids des sentences juridiques et en finir avec la résistance des habitants par le biais du processus de dialogue et d’accords extrajudiciaires. MLP offre en échange de cela, des travaux d’ouvrage pour la sécurité et le retour de l’eau, des sommes d’argent pour améliorer la qualité de vie des familles… 

Déclaré dangereux par la Cour Suprême du Chili, reconnu d’avoir privé d’eau et contaminé l’eau de Caimanes par la même Cour Suprême, reconnu d’avoir violé le patrimoine par la Superintendance de l’Environnement, le réservoir de déchets miniers d’El Mauro pourrait-il s’agrandir encore ? Qu’en est-il de la justice, quand un accord post-verdict pourrait permettre de transformer la question de la reconnaissance des droits en celle de faveurs qu’une entreprise octroierait à ceux qui se plient à son bon vouloir ? 

Ce n’est pas la première fois qu’à Caimanes une sentence juridique pourrait être détournée par un accord direct post-verdict. Il y a 8 ans, alors que le réservoir de déchets miniers était en phase de construction, la communauté fut trahie par l’avocat de l’époque qui organisa une conciliation avec l’entreprise alors que la Justice avait déterminé la non viabilité du projet (7) . L’histoire se répètera-t-elle ?    

En réalité, à ce jour, la communauté est divisée sur le sujet. Pour certains, il n’y a pas d’autres alternatives qu’accepter ce que MLP est prêt à donner : acheminement d’une eau propre en quantité suffisante, déplacement des parties basses du village, un fond d’argent pour améliorer la qualité de vie des familles. Pour d’autres ces mesures sont insuffisantes. D’une part parce qu’elles ne représentent guère plus que ce pour quoi MLP a déjà été condamné sans apporter sur le sujet de solutions satisfaisantes : en effet l’avancée du processus de dialogue sur le thème de l’eau par exemple n’a toujours pas permis de démontrer comment MLP retournerait l’eau sous sa forme naturelle (8) et sur le thème de la sécurité du village, l’entreprise promet le minimum pour lequel elle a déjà été condamnée (9).

D’autre part  parce qu’elles ont pour effet de mettre fin aux sentences juridiques, sans reconnaitre les dommages subis durant des années ni la responsabilité de MLP.  Les quelques ouvrages à réaliser le  seraient au prix d’une déculpabilisation bon marché de MLP qui, de plus, scellerait l’avenir de Caimanes vers une acceptation d’une soumission plus grande encore à l’emprise et à l’origine du problème : le réservoir serait agrandi et les habitants condamnés à vivre en dessous. Pour ces derniers, il n’y a d‘autre voie que la résistance.

 

A suivre…

 

 

Elif Karakartal

Observatrice Internationale Cas Caimanes
pour la Fondation France Libertés
ALDEAH  

 
 
 
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1. L’entreprise  a fait appel sur la forme d’accomplir la sentence. Tout d’abord condamnée à démanteler le mur du réservoir qui avait bloqué le cours des eaux en son intérieur,  elle a présenté un recours en appel : un plan de restitution des eaux superficielles est en attente d’être évalué par la Justice. Pour l’heure,  l’eau n’a toujours pas été restituée  à la communauté.
2.  Le 4 juillet 2013, la Cour Suprême a établi que le réservoir de déchets miniers constituait un danger pour Caimanes et ordonné à Minera Los Pelambres la mise en place d’un plan d’urgence pour garantir la sécurité des habitants des habitants en cas de catastrophe. Ce plan jusqu’à l’heure pas été mis en place et  la communauté reste toujours sans mesure de protection.    
 3. La pratique de MLP de répartir projets et emplois à ceux qui la soutiennent et de les refuser aux autres a eu pour effet de diviser les familles à Caimanes, fait particulièrement grave dans un village ou tous ont plus ou moins des liens familiaux.  
4. En cas d’effondrement du mur de contention du réservoir susceptible d’arriver en cas de séisme important, les habitants n’auraient que 5 minutes pour fuir avant que la coulée de boue toxique n’envahisse le village.
5.  La Construction du méga–réservoir a signifié le déplacement de centaines de pièces archéologiques sans suivit ni visibilité de l’Etat.  Condamnée par la Superintendance de l’environnement pour les infractions dans la gestion de ce patrimoine, MLP propose aujourd’hui de partager l’administration d’un futur musée avec les habitants. 
6.  Selon les avocats Ossa et Cia, l’accord garantirait de meilleurs conditions que la sentence. L’entreprise proposerait des ouvrages adaptés pour acheminer et stocker une eau propre et pour ce qui est de la sécurité de déplacer immédiatement les parties basses du village. 
7.  En 2006, Fernando Dougnac, le premier avocat de la communauté, négocie la sentence juridique qui avait établi  la négation de l’autorisation de construction du réservoir de déchets miniers.   Plusieurs millions de dollars, des négociations secrètes avec un groupe de dirigeants de la communauté annulent la décision de justice et le réservoir sera tout de même construit. 
8.  Selon la sentence, MLP est condamné à retourner l’eau sous sa forme naturelle par le cours de la rivière qui est aujourd’hui à sec. Selon l’avancée des discussions, il ne serait plus question d’accomplir l’obligation telle quelle mais d’assurer l’approvisionnement d’une eau quelle qu’en soit la provenance.  Ce point a soulevé le mécontentement des habitants qui n’acceptent pas qu’on leur achemine de l’eau déstalinisée. par exemple  
9.  Les travaux qui permettraient d’assurer la sécuriser du réservoir et de déplacer les zones à risque avaient été déjà ordonnés par la Cour Suprême depuis 2013.Selon l’opinion des habitants, ces ouvrages ne devraient donc pas figurer dans cet accord.