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Discours de remerciement pour le prix Save The Children.

29.09.2010

Danielle Mitterrand n'a pas pu se rendre à la remise du Prix Save the Children suite à une chute sans gravité à l'aéroport de Madrid. Voici le discours de remerciement qui a été distribué lors de la soirée.

 


Madrid

Prix Save the Children

28 September 2010

 
Avant toute chose, je veux vous remercier pour ce prix. Je l’accepte, au nom de ma fondation France Libertés, qui est l’outil, le moyen, par lequel je m’efforce d’accomplir une œuvre de témoignage sur des sujets qui me préoccupent depuis toujours. Ils sollicitent mon désir d’action en faveur d’une société humaniste, plus respectueuse de la dignité de chacun et afin de permettre aux enfants de construire un monde meilleur dont nous rêvons mais que nous avons échoué.

J’ai créé France Libertés en 1986, à l’époque, nous étions là pour défendre non seulement les droits de l’Homme, mais aussi ceux des peuples, en proie aux dictatures, qu’elles soient politique, économiques ou militaires.

Depuis ces années, nous avons creusé des puits, construit des écoles et des hôpitaux, développé des cultures, travaillé sur le terrain au contact de ces populations que nous voulions aider. Et c’est là que l’évidence nous a frappés. Cela ne suffisait pas. Cela ne pouvait pas suffire. Parce que construire ces structures, même si elles étaient nécessaires, même si elles ont sauvé des vies, cela n’était pas notre rôle mais celui des états.  Nous avions la sensation désagréable de cautionner une politique mondiale déficiente.

Pourtant, nous avons continué, assidûment, quand au début des années 90, les témoignages se sont multipliés, concordants, quasiment systématiques concernant une inquiétude grandissante devant la dégradation de la qualité de l’eau quand elle ne manquait pas déjà.

Aujourd’hui au 21e siècle, un milliard et demi de personnes dans le monde n’ont pas accès à une eau potable, prés de 2,6 milliards, soit une personne… un  être humain sur 3, ne dispose pas d’un assainissement correct. Et comme tous les jours, aujourd’hui encore, 34 000 personnes dont près de 5000 enfants, vont mourir à cause d’une eau polluée.

Dans ce monde soi-disant « moderne », l’eau est un luxe pour plus d’un tiers de l’humanité, et c’est un drame, humain historique et social, quotidien. Alors, quand on pense que l’eau est indispensable, à tout le vivant, aussi bien aux organismes microscopiques qu’aux baleines, indispensables aux plantes comme aux animaux, il est facile d’être pris d’un vertige.

9 pays se partagent 60% des réserves en eau potable. La nature est ainsi faite, et à l’évidence, ils n’ont pas l’intention de partager cette richesse, alors qu’ils en ont le devoir et, en s’en donnant les moyens, la possibilité. Ce n’est pas juste un oubli ou une erreur, nos politiques connaissent cette question, et ce n’est pas un hasard si certaines bases militaires s’élèvent juste au-dessus des nappes phréatiques les plus importantes et à côtés des barrages les plus titanesques.

Il ne s’agit pas d’une question secondaire, qui pourrait se régler avec le temps. Aujourd’hui  quasiment personne, surtout pas les pays les plus développés, n’a  l’intention de changer de politique dans ce domaine. Ce n’est pas juste une erreur tragique, c’est un manque de volonté politique qui couvre un crime, clairement, savamment organisé par le système économique mondial imposé par les puissants.

C’est aussi cela, le devoir et le travail des membres de la fondation France Libertés. Nous œuvrons pour construire un avenir où les valeurs humanistes prennent plus de place que les valeurs monétaires. La « valore » en latin c’est la force de vie. Mais les valeurs de notre siècle, ce sont des bouts de papier qui permettent de spéculer sur un élément vital indispensable à tous les peuples, à chaque société, à n’importe quel individu et à chaque enfant : l’eau.

Je me pose parfois la question, ce monde est-il vraiment devenu complètement fou ? Sans espoir de rémission ou d’amélioration et sans espoir pour les populations qu’il écrase ? Combien de temps encore, des milliers de fillettes partout à travers le monde, vont-elle faire des kms à pieds pour chercher de l’eau plus ou moins potable au lieu d’aller à l’école ?

Comment faire comprendre que la politique de l’eau pour tous est un préalable à toute construction d’avenir ? C’est en menant une réflexion sur le statut et le rôle de l’eau sur la planète, que nous concluons que nous sommes tous dépendants les uns des autres comme nous dépendons de l’eau pour vivre.

Les fervents défenseurs de la pensée unique  ont des arguments, nombreux, forts, imparables… Ils en sont persuadés, et parmi eux, celui qui me dérange le plus et qui ne peut que déranger : c’est l’argent. On nous explique souvent que nous devrions rester réalistes, comprendre les réalités de ce monde fondé sur la valeur de l’argent. Apporter de l’eau potable pour tous les êtres humains, sauver ces centaines de milliers de vies chaque année, cela représente un budget considérable. C’est ce qu’affirment ceux qui sont aujourd’hui chargés de rassembler les sommes nécessaires.

Je reconnais volontiers que la somme peut sembler importante, que le chiffre peut faire peur, je ne le donnerai pas ce soir, parce que ce n’est qu’un chiffre, et qu’il faut le ramener à son échelle.

 Comment ? Alors que tous les ans vous vous allouez, vous les Etats, mille milliards trois cents millions de dollars pour votre armement et vos engins de mort, vous ne sauriez en distraire un toute petite part, rien qu’1%, et seulement pendant 10 ans pour que, sur les enfants qui vont naître aujourd’hui, 6000 de plus puissent vivre leur dixième anniversaire ?

Une autre politique pourrait-elle concerner l’ensemble des peuples à la fois ? Par définition celle-ci nous concerne tous ! Et pourtant jamais je n’ai vu autant de dichotomie dans la conception actuelle de cette politique.

Nous pouvons, nous devons, et nous <span>allons</span> relever le gant que nous lancent les multinationales du secteur qui se prétendent écologistes et équitables et  instaurent sur le terrain une politique impitoyable. Il est temps d’affronter le dictat de l’argent, la dictature économique de l’ultra-libéralisme  et le verdict  de la force armée comme seul moyen de sécurité des peuples.

Vous savez, ce n’est pas un rêve, un idéal lointain que mon arrière petit fils pourrait peut-être réaliser un jour. C’est une réalité, nous sommes déterminés à rester fermes sur notre vision de la mission naturelle de l’eau. On nous parle souvent des guerres de l’eau, présentes ou futures et des enjeux de pouvoir. Mais tous les fleuves ne sont pas des frontières, les lacs et les rivières rassemblent les hommes, malgré leurs cultures. Parce qu’elle est indispensable, l’eau a toujours fait lien, même dans les endroits où elle manque le plus. Combien de tribus nomades se retrouvent parfois au milieu du désert, au cœur d’une oasis ?

Il suffit d’un peu de bon sens,  pour admettre que nous sommes tous dépendants des biens communs du vivant. Et que,  par conséquent, même si le service à un coût, ces biens-là, ceux dont personne ne peut se passer, ceux-là n’ont pas de prix. Qu’ils soient matériels ou immatériels, plus vieux que la vie elle-même, ou aussi récent qu’internet.

 

Je suis consciente de la situation du monde, vous savez, et parfaitement consciente que mon exposé et nos projets nécessitent une autre conception de la société dans l’avenir, une autre approche politique.

Nous voulons une société qui ait du bon sens, où la priorité est donnée à la vie et non pas à la survie. Cette société ne peut être défendue que par les valeurs humanistes et respectueuses de notre environnement.

Les espaces et les acteurs altermondialistes ont permis de dévoiler depuis dix ans, les contradictions fondamentales autour des enjeux de l’eau, malgré les spectacles de carnavals que sont les grands sommets et autres rendez-vous internationaux,  et les discours officiels, où chacun se cache derrière son masque souriant ou grimaçant, écologique ou social.                                                                                                                                                                                                                                

Au fil des FSM, et des Forum alternatifs mondiaux  (FAME), l’eau devient le sujet symbolique des enjeux sociaux et environnementaux.  Souvenez-vous de Caracas, c’était il y a 4 ans déjà, en 2006, tous les mouvements et les organisations sociales de l’eau s’étaient rassemblées autour d’une déclaration. Cette déclaration a pris son indépendance, elle est devenue une Charte,  elle a lancé un mouvement et, comme tout ce qui concerne l’eau, elle a rassemblé des femmes et des hommes conscients de leur responsabilité et de cette réalité.

Ces femmes et ces hommes ce sont les Porteurs d’eau, on les retrouve aujourd’hui au Canada, au Brésil, en Italie, en Espagne, en France et ailleurs. On les découvre, ou on les découvrira dans les mois qui viennent ailleurs, sur d’autres continents encore. Partout ils portent le même message, et ils emmènent avec eux  leur idéal.

Et à mon tour, ici et maintenant, à Madrid, en Espagne je ne résiste pas à l’envie de vous faire partager ce message d’espoir, qu’est la Charte des Porteurs d’eau.

Premièrement : l’eau  n’est pas une marchandise. L’eau est un bien commun non seulement pour l’humanité, mais aussi, plus largement,  pour le vivant.

Plus qu’une logique, c’est une évidence, c’est le point de départ de ce combat. C’est aussi un fait que personne ne peut contester.

Deuxièmement : Afin de garantir la ressource pour les générations futures, nous avons le devoir de restituer l’eau à la nature dans son état de pureté initiale.

Le dernier point, le plus politique, le plus important et pas forcément le moins évident : L’accès à l’eau est un droit humain fondamental qui ne peut être garanti que par une gestion publique, démocratique et transparente, inscrite dans la loi.

Certaines choses ne sont pas, et ne doivent pas être du  ressort d’entreprises multinationales. C’est aux Etats de garantir le droit à la vie de leurs peuples.

Trois points clairs, trois piliers, trois engagements à prendre, et une seule politique à adopter.

Alors pour finir je vais vous poser une question simple, ou plutôt, rappeler une évidence. Si rien ne vous a choqué dans mon discours, si vous comprenez nos choix, alors je n’ai pas besoin de vous demander de devenir Porteur d’eau. Vous l’êtes déjà, depuis longtemps dans chacun des combats et des chantiers qui vous ont amenés ici ce soir. Vous aviez juste besoin de le savoir, pour reprendre et porter cette charte, dans l’intérêt de tous et en particulier des enfants, à travers les projets qui sont en cours, comme dans toutes les initiatives qui viendront à partir de maintenant.

Danielle Mitterrand