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La biopiraterie, une nouvelle forme de colonisation?

20.01.2017


Ingénieurs sans frontières : qu’est-ce que la biopiraterie ?

Marion Veber : La biopiraterie fait référence à la privatisation du vivant et des savoirs traditionnels sur la biodiversité, notamment par le biais de brevets. Les biopirates sont les entreprises, en particulier pharmaceutiques, cosmétiques ou agroalimentaires, ainsi que les instituts de recherche qui s’approprient des plantes ou semences ainsi que les connaissances et savoir-faire sur ces ressources à travers la propriété intellectuelle. Les communautés locales, rurales et autochtones, qui vivent particulièrement proches de leur environnement, ont en effet développé des connaissances très fines sur la biodiversité qui les entoure et qui sont fortement recherchées par le monde de la recherche ou économique pour les valoriser. On parle de biopiraterie quand ces acteurs s’approprient de manière illégitime ces savoirs, sans le consentement des communautés et sans partage des bénéfices réalisés grâce leur utilisation.

La biopiraterie interroge donc sur plusieurs aspects. Comment donner un droit de propriété intellectuelle à des éléments qui se reproduisent naturellement et gratuitement ou que tout un chacun peut reproduire en s’appuyant sur des savoirs collectifs partagés ? Cela pose la question des biens communs du vivant et leur appropriation et privatisation. La biopiraterie invite également à réfléchir à la reconnaissance et valorisation des savoirs des peuples. Comment repenser les rapports à ces populations pour qu’ils soient moins marqués par la violence et l’exploitation abusive ? Vandana Shiva, grande militante indienne engagée dans la lutte contre la biopiraterie parle « d’un déni du travail millénaire de millions de personnes et de cerveaux travaillant pour le bien de l’Humanité » et va même plus loin : « Lors de la première colonisation, les peuples autochtones se sont fait voler leurs terres. Au moyen des droits de propriété intellectuelle et des brevets, on se trouve à piller l’esprit et le corps des peuples autochtones ; la vie elle-même se fait coloniser ». Lutter contre la biopiraterie consiste donc à s’opposer à la marchandisation de la nature et à chercher à protéger les savoirs des peuples sur la biodiversité.

Ingénieurs sans frontières : peux-tu présenter un exemple concret de travail avec une communauté sur le sujet ?

Marion Veber : Le 16 novembre, France Libertés a lancé une campagne internationale sur un nouveau cas de biopiraterie qui concerne la stévia. Connue par les Guarani Kaiowa et Pai Tavytera depuis des siècles, ils l’utilisent notamment pour ses propriétés sucrantes. C’est de ce savoir traditionnel que découlent toutes les utilisations ultérieures de la stévia. Cependant, les Guaranis ne reçoivent pas la part juste et équitable des bénéfices résultant de la commercialisation des glycosides de stéviol. Il s’agit d’un cas patent de biopiraterie. Des entreprises spécialisées dans les matières premières agricoles, l’agroalimentaire et la biotechnologie (Coca-Cola, PepsiCo, Casino, Carrefour, Nestlé, etc.), utilisent la stévia et les connaissances traditionnelles des Guaranis pour réaliser des profits (le chiffre d’affaires 2015 réalisé sur les produits contenant de la stévia est estimé entre 8 et 11 milliards de dollars US).

Nous sommes aujourd’hui en contact avec les Guaranis et espérons convaincre les entreprises d’engager des négociations avec eux pour la mise en place d’un protocole d’accord et ainsi garantir un partage juste et équitable des avantages. Si ce partage ne doit pas nécessairement prendre une forme financière, il doit cependant répondre aux demandes exprimées par les Guaranis.

 

Télécharger le numéro 83 d’Alteractif dans lequel figure l’interview (PDF)

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