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La lutte contre la biopiraterie au FSM de Dakar : pour la défense des droits des communautés sur leurs savoirs ancestraux et leurs cultures

15.02.2011

La préservation des véritables richesses naturelles et culturelles de l’humanité a été au cœur des axes de réflexions et d’action de ce FSM de Dakar. Au croisement des luttes pour la justice environnementale, la préservation des biens communs de l’humanité et le respect des droits des peuples autochtones, la lutte contre la Biopiraterie avait donc toute sa place au sein des mobilisations pour la reconnaissance des droits collectifs des peuples sur la biodiversité. En terre africaine, cette question est d’autant plus importante que la biodiversité y est fortement concentrée et que les droits des peuples autochtones ne sont que très faiblement pris en compte dans la gestion et l’exploitation des ressources naturelles.

Pour dénoncer les conséquences du pillage des savoirs traditionnels des peuples autochtones par des acteurs privés à travers des cas concrets et proposer des alternatives, France Libertés – Fondation Danielle Mitterrand et le Collectif Biopiraterie ont organisé un atelier de 2h30 intitulé « Non à la Biopiraterie : pour le respect des droits des peuples sur leurs richesses ».

La biopiraterie désigne exclusivement les pratiques de pillage des savoirs traditionnels des peuples, ou plus largement, la marchandisation du vivant biologique et culturel. Face aux dérives du modèle économique global non soutenable basé sur l'appropriation des biens communs de l’humanité, c’est un changement de paradigme qui est aujourd’hui nécessaire. Est-il acceptable de voir la vie et les savoirs immémoriaux des peuples du monde régis par les logiques de marché et de profit ?

André Abreu, directeur de l’association France Libertés Brésil souligne l’importance de « saisir la gravité de ce phénomène, survenant en parallèle de la privatisation de l’eau et de l’accaparement des terres (…) par des groupes privés. Ces derniers empêchent les populations d’utiliser librement leurs propres produits, privant la population de la jouissance d’un patrimoine collectif ». En référence aux précédents Forum Sociaux Mondiaux, il reprend la devise : « un autre modèle politique basé sur les Biens Communs est possible » et lance un appel à rejoindre le mouvement pour la défense des biens communs, essentiels à la vie.

heloise_intervention.jpg Phénomène grandissant d’appropriation des savoirs ancestraux des peuples sur la biodiversité et les écosystèmes locaux par des acteurs privés des secteurs industriels, notamment via le système des brevets, la biopiraterie est d’actualité. Héloïse Claudon, juriste en droit de l’environnement, volontaire à France Libertés et membre du Collectif Biopiraterie a présenté les différentes clés de compréhension de la problématique : définition, conséquences de ces pratiques, mécanismes juridiques de régulation et solutions envisageables.

En effet, les récentes avancées de la législation internationale relative à l’accès et au partage des avantages issus de l’exploitation de la biodiversité (Protocole de Nagoya) représentent une avancée notoire dans la lutte contre la biopiraterie. Cependant, elle rappelle que la société civile doit rester mobilisée pour une bonne application du Protocole dans chaque pays, et surtout en faveur de la défense des droits fondamentaux des peuples autochtones, uniques gardiens de la biodiversité mondiale – pourtant toujours marginalisés et dominés dans les négociations sur la préservation de la biodiversité.

 

Etude de deux cas de biopiraterie avérés
La deuxième partie de l’atelier a été consacrée à l’exposé de deux cas récents de biopiraterie en Afrique du Sud et aux alternatives mises en place pour le renforcement des droits des communautés autochtones sur leurs savoirs et cultures.

gino_intervention.jpg Gino Cochiarro, avocat en droit des communautés pour l’organisation sud-africaine Natural Justice – avec laquelle France Libertés et le Collectif Biopiraterie entament un partenariat riche en perspectives – a présenté deux récentes études de cas en Afrique du Sud : le cas du Hoodia et celui du Rooibos.

Le cas du Hoodia est un exemple frappant des difficultés inhérentes à la mise en place d’un accord de partage des avantages avec une communauté autochtone. Le Hoodia est une plante endémique à l’Afrique du Sud, utilisée depuis des siècles par la communauté San pour ses propriétés indispensables d'étanchement de la soif et de modération d'appétit durant les activités traditionnelles de chasse et de cueillette. En 1996, l’élément actif de la plante est breveté par un institut de recherche qui accorda une première licence à l’entreprise anglaise Phytopharm. Les droits furent ensuite revendus à Pfizer puis à Unilever pour le développement d'un produit coupe-faim. Les San furent totalement exclus de ce processus et une campagne de sensibilisation a donc débuté en 2001, avec le slogan « Cette plante les maintient en vie, et maintenant leur secret est volé pour nous faire mincir ». En conséquence, différents Accords de Partage des Avantages (APA) ont été signés, dont les bénéfices furent versés dans un fonds co-géré par l’institut de recherche et les San. Mais la non contestation du brevet initial et le montant des royalties accepté par les San restent sujets à controverses : la mise en place du partage des avantages est un processus délicat, comportant nombre de défis inhérents à la spécificité des systèmes traditionnels.

Le très récent cas du Rooibos-Honeybush a opposé en 2009 la firme agroalimentaire suisse Nestlé (Nestec SA, actionnaire à 30,5% de l'Oréal) à l’Etat sud-africain sur le dépôt illégal de cinq brevets sur des applications cosmétiques du Rooibos et du Honeybush – deux espèces de plantes endémiques à l’Afrique du Sud dont l’utilisation en médecine traditionnelle est largement répandue pour ses propriétés anti-inflammatoires.

Initialement, Nestlé obtient les plantes par l’intermédiaire d’un industriel sud-africain, en violation totale de la législation nationale et internationale sur la biodiversité qui imposent la délivrance de permis d’export et de bio-prospection par le ministère de l’environnement. Nestlé fut alors contraint de négocier avec le gouvernement sud-africain et tenta en vain de se dégager de l’application des lois sud-africaines en arguant que les recherches s’effectuaient en dehors du pays d’origine, en Suisse.

Les brevets de Nestlé furent par la suite annulés sur la base du manque partiel de nouveauté et total d'inventivité, deux critères fondamentaux pour l’obtention de tout brevet dit d’invention. En conséquence, Nestlé abandonna les négociations avec le gouvernement en faisant voeu pieu de respecter la législation à l’avenir.

Le cas Nestlé a permis d'expérimenter les lois nationales sur la biodiversité et de souligner que tous les acteurs doivent s'y plier. Ce cas démontre également la nécessité d’une bonne mise en oeuvre d'un régime international sur l'APA (Nagoya) et de la médiatisation du sujet de la biopiraterie afin que ces violations des législations nationales protectrices ne se reproduisent pas.

 

Quelles alternatives possibles à la biopiraterie ?

Lutter efficacement contre la biopiraterie passe nécessairement par le renforcement des capacités des communautés à disposer, préserver et valoriser leurs savoirs et cultures. Gino Cochiarro a présenté la mise en place de protocoles communautaires, ou Protocoles bio-culturels, comme une alternative concrète pour l’appropriation de la nouvelle législation sur l’accès et le partage des avantages par les communautés elles-mêmes.

Face à des cadres juridiques et légaux inadaptés à leurs cultures et à leurs identités, « un des enjeux majeurs est de permettre aux communautés de prendre part à la définition et l'application de ces lois selon leurs termes, basées sur leurs valeurs et leurs normes liées à leurs coutumes, et selon un processus impliquant l’ensemble de la communauté afin de définir des valeurs locales et des priorités à porter qui leurs sont propres et spécifiques ».

Ainsi, les protocoles communautaires bio-culturels (PBC) sont des déclarations communautaires qui énoncent les modes de vies, les valeurs, les droits, les lois et procédures liées aux coutumes traditionnelles et ancestrales en les mettant en lien avec les cadres légaux nationaux. Dans le cadre d’un Accord de Partage des Avantages, les Protocoles permettent donc le dialogue à voix égales entre les communautés, les gouvernements et les utilisateurs des ressources communautaires.

Dans l’exemple cité de la communauté des Praticiens de la Médecine Traditionnelle de Bushbuckridge (Parc Kruger, Afrique du Sud), le Protocole permet aux guérisseurs de définir leurs propres règles pour l'accès à leurs connaissances médicinales ancestrales et à se structurer en un comité capable de porter un plaidoyer auprès des autorités concernant la surexploitation des ressources et l'accès à la terre. Les PBC sont donc une réelle alternative puisque qu’ils sont « à la fois un processus d'affirmation des modes de vie, des coutumes et des droits ; un processus de réflexion à l'intérieur et entre les communautés sur les implications d'un Accord de Partage des Avantages mais aussi un outil pour un mandat clair de représentativité ».

 

Au-delà de la nécessaire participation des populations locales à la définition des règles qui encadrent l’utilisation de leurs ressources, la mobilisation de la société civile dans son ensemble est indispensable pour lutter contre les pratiques biopirates. C’est pourquoi le Collectif Biopiraterie a présenté ses modes d’actions médiatiques pour mobiliser la société civile afin de faire connaître les cas potentiels mais également ses modes d’actions juridiques afin de faire pression sur les entreprises biopirates pour qu’elles retirent leurs brevets illégitimes.

Les activités du Collectif consistent donc à rechercher et traiter les cas, mais aussi à sensibiliser la population et à plaider au niveau national et international pour faire connaître la biopiraterie et promouvoir les alternatives de valorisation des savoirs traditionnels des peuples autochtones.

Un étudiant sénégalais a ainsi réagi à l’atelier en expliquant que : « si vous n’étiez pas venu le présenter aujourd’hui dans mon université je n’aurais pas eu connaissance de ce phénomène et des textes nous protégeant. C’est grave. ». Le travail de sensibilisation est donc d’une importance capitale aujourd’hui, seules l’information préalable et la prise de conscience de nos droits et devoirs en tant que citoyens et consommateurs du monde peuvent permettre des avancées significatives dans la lutte contre la biopiraterie.