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Les peuples autochtones très vulnérables face au Covid-19

30.04.2020

Les peuples autochtones ont pour beaucoup aujourd’hui des conditions de vie difficiles et souffrent de discriminations. Ces peuples doivent faire face à des menaces multiples : invasion, exploitation et pollution de leurs territoires, déplacements ou sédentarisation forcés, racisme et marginalisation. Face à la pandémie de Covid-19, les peuples autochtones sont ainsi particulièrement vulnérables.  

Le Covid-19 ravive les blessures historiques des épidémies dévastatrices pour les peuples autochtones

Pour les peuples autochtones, la crise du Covid-19 a un arrière goût de déjà-vu. Ces peuples ont en effet en commun d’avoir connu des épidémies importées par les colonisateurs, les missionnaires et tous ceux qui ont envahi leurs territoires pour y exploiter les ressources s’y trouvant. Comment ne pas rappeler le chiffre glaçant de 90% des autochtones présents sur le continent américain décimés à partir de 1492 en très grande partie par les maladies importées par les conquistadors ? Comment ne pas se souvenir de la disparition pure et simple de peuples entiers ? C’est d’ailleurs ce que rappelle le Grand conseil coutumier des peuples amérindiens et Bushinengés de Guyane dans son récent communiqué :

Le contexte actuel résonne en nous, il touche les cordes sensibles de la mémoire de nos peuples. Il nous met face à l’héritage d’une blessure coloniale et le traumatisme collectif laissé par les épidémies, qui ont jadis décimé nos ancêtres. Il nous met, nous les descendants des premiers occupants de ce territoire, face à notre condition de survivants à l’un des épisodes les plus dramatiques de l’histoire de l’Humanité : le génocide des amérindiens.

Une vulnérabilité accrue des peuples autochtones face au Covid-19

Les politiques mises en œuvre par les États colonisateurs ont bouleversé les conditions de vie des peuples autochtones, impactant jusqu’à leur santé. Certaines peuples ont aujourd’hui une santé fragilisée et souffrent de malnutrition, de déficits immunitaires, de maladies chroniques. Chez d’autres, on peut noter une prépondérance de facteurs aggravant le virus comme le diabète, l’obésité et l’hypertension, cela étant dû à la colonisation qui les a contraint à la sédentarité et à devenir dépendants d’aliments industriels. D’autres développent des maladies multiples à cause des pollutions de l’eau, de l’air et des terres causées par les projets pétroliers, gaziers, miniers, agro-industriels, faisant d’eux des populations sacrifiées sur l’autel du profit de quelques uns

Les peuples non contactés ou en isolement volontaire sont particulièrement en danger face à cette pandémie qui, si elle atteignait leurs lieux de vie, pourrait leur être fatale au vu de leur conditions immunitaires. Le Covid-19 pourrait conduire à la disparition pure et simple de certains peuples. C’est pourquoi il est essentiel d’éloigner toutes les personnes non-autochtones de leurs territoires, notamment les missionnaires religieux , les orpailleurs et exploiteurs forestiers.

La vulnérabilité accrue des peuples autochtones est aussi à relier à leurs conditions de vie précaires. Certains vivent dans des quartiers défavorisés des grandes villes, des camps de fortune au bord des routes après avoir été chassés de leurs terre (par exemple les Guaranis Kaiowa au Brésil), ou encore dans des camps de réfugiés. La précarité économique vient ainsi s’ajouter à la difficulté de la distanciation sociale du fait de territoires congestionnés. Pour les peuples dépendant économiquement de la vente de produits agricoles, la pandémie vient mettre en péril leurs revenus avec le risque de basculer très rapidement dans la pauvreté.

L’autre problème est celui de l’accès aux soins du fait de l’éloignement géographique des centres de santé et de l’absence d’investissements dans certaines zones, marginalisant volontairement ces peuples dans l’accès aux services essentiels. A cela s’ajoute des différences culturelles dans la pratique de la médecine. Enfin, l’accès à l’information est difficile en raison des différences linguistiques et des difficultés d’accès à internet. 

Peuple Tupinamba du Brésil ©Colégio Estadual Indígena Tupinambá Serra do Padeiro

Faire face avec efficacité tout en respectant les droits des peuples autochtones et leurs cultures

En l’absence de politiques ambitieuses des États, les autochtones ont dû s’organiser. Beaucoup ont ainsi mis en œuvre une distanciation sociale volontaire quand cela était possible, ils ont suspendu les grands événements ou déplacements, multiplié les interventions radio pour diffuser les consignes sanitaires dans leurs langues (voir ici pour les langues autochtones de Guyane). Des cagnottes ont été lancées pour récolter des fonds pour acheter du matériel ou de la nourriture pour les communautés les plus excentrées.

De nombreux peuples utilisent leurs systèmes et pratiques traditionnelles pour faire face à la pandémie. La rapporteuse spéciale de l’ONU, elle-même issue du peuple Kankana-ey Igorot aux Philippines, explique par exemple :

Mon peuple a déclaré l’ubaya, qui est une manière traditionnelle de verrouiller les communautés. Si le confinement dure longtemps et que les gens manquent de nourriture, ceux qui ont plus de riz dans leurs greniers le partagent avec ceux qui n’en ont pas.

Il est fondamental d’adapter les mesures aux contextes géographiques, culturels et socio-économiques des peuples autochtones. A cet égard, il faut rappeler que les peuples autochtones devraient être pleinement intégrés dans les processus d’élaboration, de mise en œuvre, de suivi et d’évaluation des mesures prises face au Covid-19. Pour la rapporteuse de l’ONU :

Les systèmes et les cultures de gouvernance autochtones ainsi que les connaissances autochtones et les systèmes de guérison traditionnels qui peuvent faire face à la crise de Covid devraient être soutenus et renforcés.

Autant d’aspects qui découlent directement des droits des peuples autochtones tels qu’ils ont été reconnus à l’échelle internationale, notamment le droit à l’autodétermination et le droit de gérer leurs terres, territoires et ressources. 

Crédit : Rogério Assis / MNI

Stop aux projets extractivistes ! 

Alors que le monde entier concentre son attention sur la pandémie, les peuples autochtones continuent de se battre en première ligne pour protéger les communs naturels de leur appropriation et de leur exploitation. Les projets extractivistes en tout genre, légaux ou illégaux, n’ont malheureusement pas cessé avec le Covid-19. 

L‘orpaillage illégal en Guyane s’est intensifié ce qui suscite de vives préoccupations pour les amérindiens, notamment les Wayanas. Au Brésil, un adolescent du peuple Yanomami est mort du Coronavirus suite à des allers-retours dans une zone très prisée par les chercheurs d’or. Cela rappelle la menace que constituent les ‘envahisseurs’ des territoires autochtones à la fois pour les écosystèmes mais aussi, à l’heure du Covid-19, comme potentiels vecteurs du virus. L’APIB (articulation des peuples autochtones du Brésil) dénonçait il y a quelques jours les assassinats de Zezico Guajajara et d’Ari Uru-eu-wau-wau, qui tous deux dédiaient leur vie à la protection de leurs territoires en luttant contre ces orpailleurs, trafiquants de bois etc. La preuve, s’il en fallait, que la recherche du profit à tout prix continue de tuer ceux qui cherchent à l’entraver.

Certains l’ont bien compris, la pandémie est une aubaine pour entamer des travaux ou accélérer des projets extractivistes tant que les moyens de résistance sont limités du fait du confinement et que l’actualité tourne en boucle sur la pandémie. Certains Etats (Canada et Brésil par exemple) profitent ainsi de la pandémie pour tenter d’assouplir les normes environnementales, ce qui ne manquera pas d’aggraver les impacts des futurs projets pour les autochtones. Début avril, en pleine période de confinement, des ouvriers commençaient les travaux pour la réalisation de l’oléoduc Keystone XL entre les Etats-Unis et le Canada. Le coronavirus n’empêche pas non plus les accidents en tout genre liés à l’extractivisme. En Équateur, des déversements de pétrole dans des rivières suite à la rupture de trois oléoducs vont fragiliser encore plus les communautés autochtones. 

Plus que jamais, les peuples autochtones appellent à stopper ces projets mortifères. Dans son communiqué, le Grand Conseil Coutumier de Guyane, rappelle :

Il est nécessaire de continuer à faire preuve d’Humanité et de Solidarité, et de mettre à profit ce contexte particulier afin de préparer un monde plus respectueux de la Terre et de toute forme de vie.

Cette crise mondiale nous interroge en effet sur notre rapport à l’autre mais aussi notre rapport au vivant dans son ensemble. La catastrophe sanitaire causée par l’émergence d’un nouveau virus zoonotique invite à rompre avec les paradigmes à la base “du peuple marchandise” comme le dit si justement Davi Kopenawa, grand leader du peuple Yanomami

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