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Un bateau « Porteur d’Eau » / Discours devant le CJD à Saint Malo.

29.10.2010

Bonjour à tous et merci,

Merci au CJD de nous avoir invité à participer au lancement de votre bateau pour cette route du rhum. Je vous apporte le message de Danielle Mitterrand qui aurait aimée être avec vous aujourd’hui. Elle poursuit sa rééducation pour reprendre ses nombreuses activités au plus tôt. Elle m’a demandé de vous parler de notre bien commun à tous. Vous avez reçu une feuille d’eau signée Philippe Starck offerte par le CJD et qui porte ce message : Bien commun de l’Humanité, l’eau n’a pas de prix.

En effet, accepteriez-vous de payer l’air que vous respirez ? La gravité qui vous permet de tenir debout, ou le vent qui va permettre à votre bateau le « Jeune Dirigeant » d’avancer. Pourtant, vous aussi, vous payez parfois pour des biens qui ne devraient pas être à vendre.
Aujourd’hui, on parle de breveter des plantes, on se pose la question de monnayer les services du vivant, et on paye, parfois à prix d’or, l’eau dont nous avons besoin pour vivre.

Je sais, que le service, (purifier l’eau avant et après son utilisation), a un coût. Mais ce n’est pas la question. Nous avons tous, tous les êtres humains, besoin de certains biens pour vivre. L’eau est le premier de ce que nous appelons les « Biens Communs ». Ceux qui appartiennent à tous, aux générations présentes comme aux générations futures, comme à celles qui nous ont précédées.

Or, quand nous prenons la parole, pour parler d’un service public responsable, pour expliquer que nous pensons que la rentabilité économique n’est pas tout, qu’il faut faire des choix politiques aussi pour développer de l’emploi, pour assurer la survie des petites entreprises et des ressources naturelles à long terme, les responsables nous écoutent, souvent avec plus ou moins de patience, de politesse ou d’enthousiasme et nous répondent trop souvent que nous ne connaissons pas la réalité de l’entreprise et des marchés avant de retourner à « leurs » affaires, sans se soucier de nous.

Le CJD est la preuve par l’exemple que ce que nous défendons est possible, qu’une autre vision de l’entreprise et de la richesse permet de développer l’économie et l’emploi, d’augmenter la productivité de manière plus efficace et moins sensible à la crise, tout en respectant chacun des acteurs, du plus récent stagiaire à celui qui a pris la responsabilité de monter ou de reprendre et de diriger cette entreprise. 

Au moment où nous cherchons à développer des argumentaires pour expliquer que la richesse d’une entreprise n’est pas limitée à ses bénéfices annuels, il semble évident que nous avons aussi des choses à apprendre de votre réseau, des expériences à partager et des analyses à mettre en commun. Parce que c’est aussi le travail de la Fondation France Libertés de recenser et de comprendre les actions qui se rapprochent de celles que nous portons.

Un bateau Porteur d’eau, l’image est forte, elle ne pouvait que nous séduire. Sa route sera longue, et il risque de traverser des épreuves. On ne se lance pas dans un périple de cette taille sans une longue préparation, une volonté sans faille et l’aide de tous ceux qui resteront au port et qui ont travaillé depuis longtemps sur ce projet.

De la même façon, nous ne changerons pas la société tout seuls, chacun dans notre coin. Nous devons travailler ensemble pour porter une nouvelle image de la modernité, pour expliquer que le système en place, ce libéralisme financiarisé devenu fou et poussé à l’extrême, n’est pas la solution.
Selon nous, certains secteurs d’activités ne doivent simplement pas être dépendants de la sphère marchande. La mise en place de la politique des « Biens Communs » est possible pour un service public non marchand. 

La campagne des Porteurs d’eau, ce n’est surtout pas une cabale du public contre le privé.
C’est l’affirmation que certains biens, ceux dont personne ne peut se passer, doivent avoir un statut particulier, celui de « Droit de l’Homme ». C’est aux Etats d’être les garants de l’accès de la population à ces biens essentiels dont le service doit être assuré pour chacun, pas seulement pour ceux qui peuvent payer.

Dans les faits, c’est accepter de discuter, d’avoir un contrôle démocratique de la gestion de l’eau. Aucun service ne pourra concerner plus de personnes puisque, par définition, il nous concerne tous. L’eau c’est la vie. 
Aujourd’hui pourtant, rares sont les services dont la mise en œuvre, est aussi délibérément opaque.

La plupart d’entre vous ne connaissent probablement pas le Conseil Mondial de l’Eau. C’est une petite association française, dont le président actuel est aussi le PDG de la Société des Eaux de Marseille, filiale de Véolia. Ce conseil est financé, et dirigé principalement par les  grandes multinationales du secteur et leur sert, à la fois de tribune et de caution.
Aujourd’hui, ce conseil est pourtant la seule organisation, qui se présente par défaut, comme une instance  internationale en charge de cette question.

Pourtant, ils ne font rien d’autre que du business et ont prouvé au long des années qu’ils ne pouvaient rien changer aux chiffres que nous connaissons et qui parlent d’eux-mêmes. Aujourd’hui au 21e siècle, un milliard et demi de personnes dans le monde n’ont pas accès à une eau potable, prés de 2,6 milliards, soit une personne, un être humain sur 3, ne dispose pas d’assainissement.
Et, au moment où je vous parle, 34 000 personnes dont 5000 enfants en meurent chaque jour. Dans ce monde soit disant « moderne », l’eau est un luxe et c’est un drame humain, historique et social quotidien.

Evidemment, il serait fou de vouloir régler ce problème sans la mise en place d’une autorité mondiale de l’eau. En effet, 9 pays se partagent 60% des réserves en eau potable de notre planète. Mais si nous ne prenons pas le temps, maintenant, alors que nous avons les moyens de le faire, de sortir notre « Bien commun » de la sphère marchande, nous courrons à la catastrophe. Cette question de la gestion de l’eau est un préalable à toute construction politique d’avenir.  Parce qu’il n’y a pas d’avenir et de développement possible pour les populations qui en manquent.

On nous rappelle souvent, comme à vous j’imagine, de rester réaliste face à la mondialisation et aux lois du marché, celles qui affirment qu’un bien ne peut exister que s’il a un tarif, une valeur marchande et des consommateurs. Il n’y aurait aucune d’exception à cette règle unique : tout se vend, tout s’achète, c’est au marché de fixer les prix. C’est dans cette idée que notre président de la république a dit en 2006 : « l’Homme n’est pas une marchandise comme les autres. »

Personnellement et collectivement, nous devons nous remettre en question. En particulier sur cette question de l’eau. Chacun devrait être assuré de recevoir l’eau dont il a besoin pour vivre. C’est une résolution, votée récemment par les Nations-Unies et par le Conseil Mondial des Droits de l’Homme et portée au vote par le Bolivie. Il ne s’agit plus de savoir si nous devons mettre un nouveau système en place pour l’accès à l’eau, mais comment nous allons le faire.

Il suffirait par exemple d’1% du budget mondial de l’armement et ce, seulement pendant 10 ans pour assurer l’accès à l’eau pour tous. Mais pour cela, il faudrait un vote et une volonté politique d’économiser le coût d’un missile sur cent pour sauver plusieurs centaines de milliers de vie tous les ans. C’est pour cela que Danielle Mitterrand et notre fondation avons lancé la campagne des Porteurs d’eau, afin de réunir autours de cette idée le plus grand nombre possible de personnalités, d’entreprises et de citoyens pour proposer et construire ensemble une autre politique.

Cette volonté naîtra, sur le terrain par les projets que nous menons aux quatre coins du monde pour aider directement les peuples les plus en difficultés, par les campagnes de sensibilisation, les débats et les propositions. Elle partira de ces réseaux que nous connaissons et qui se rassemblent pour aller plus loin, jusqu’aux plus hautes institutions internationales. Puis, à l’image du cycle naturel de l’eau, cette volonté politique reviendra d’où elle est partie, sur le terrain pour y porter ses fruits.

Votre bateau, au-delà de l’exploit sportif, est aussi un moyen concret de porter cette campagne, ses valeurs et d’avancer sur la route d’une politique philosophique, économique, écologique et sociale de l’eau.

Alors il ne me reste qu’une chose à souhaiter à votre bateau, pour l’eau, bon vent.
 

Emmanuel Poilane

Directeur de France Libertés